« Dans ma carrière, pourtant déjà longue de 25 ans, je n’ai jamais entendu une histoire pareille ». Ainsi s’exprime le juge Defechereux, président d’une audience du tribunal correctionnel, confronté à un véritable dialogue de sourds avec un prévenu soutenant mordicus une thèse absurde face à des accusations étayées de harcèlement et d’entrave méchante à la circulation envers une ex-maîtresse.
Pour bien comprendre le surréalisme de cette audience, il faut remonter à la base de cette histoire, le 5 octobre 2020. Ce jour là, ce même juge Defechereux condamnait un certain Ljatif Bahtiri (48 ans), un sujet originaire du Kosovo, à 2 ans de prison avec sursis probatoire (ce qui n’est pas rien) pour harcèlement de Rebecca (prénom d’emprunt) , une femme qu’il avouera être sa maîtresse, lui qui est marié et père de 5 enfants ! Et dans son jugement, le juge établit que c’est bien lui qui avait provoqué un accident avec la voiture de Rebecca, ce qu’il avait contesté.
Et voilà que quelques mois après ce jugement, le 8 juin 2021, les mêmes faits se reproduisent, un accident entre leurs deux voitures. « Vous avouerez que les probabilités qu’un accident entre deux mêmes personnes se produise à quelques mois d’intervalles sont infimes » lui lance le juge, ce à quoi il rétorque un argument qui lui vaudra la petite phrase du juge, suffoqué, comme quoi il n’a jamais entendu une histoire pareille. « Mais c’est elle qui m’est rentré dedans. Elle veut me faite mettre en prison si je ne quitte pas ma femme et si je ne l’épouse pas », une phrase qu’il répétera à de multiples reprises au cours de cette instruction d’audience, soit en ricanant, soit en s’énervant, chaque fois qu’on lui oppose un argument. Comme celui qui établit par photo prise par Rebecca qu’il la suivait bien ce jour là. « N’est-ce pas illégal de prendre des photos en conduisant ? » réplique-t-il en répétant son leitmotiv sur le chantage dont il serait l’objet. « C’est une droguée, elle se drogue tout le temps » ajoute-t-il. Pourtant, les policiers venus constater l’accident n’ont pas été alarmés par un état anormal de Rebecca, sinon ils auraient fait immanquablement un test.
Question harcèlement, Rebecca se plaint d’être épiée constamment, d’être suivie quasi en permanence, ce qui est attesté par des témoins dont un policier, ainsi que de recevoir des coups de fil en pleine nuit. « Mais c’est elle qui me harcèle » s’énerve-t-il en ressortant sa petite chanson, au grand étonnement du juge qui se rappelle que lors du procès précédent, elle avait dit qu’elle ne voulait plus avoir affaire à lui « C’est moi qui ne veut plus la voir, mais elle veut absolument m’épouser, elle me provoque tout le temps ». Pourquoi dès lors n’a-t-il jamais porté plainte ?
Après une demi heure de cet improbable cinéma, le juge un tantinet exaspéré mettra fin à ce véritable dialogue de sourds en remettant le réquisitoire et les plaidoiries à une audience ultérieure.
(Luc Brunclair)