C’est une drôle d’histoire qui s’est déroulée au tribunal correctionnel de Verviers à la limite du burlesque, mais qui plonge aussi le tribunal dans une perplexité juridique profonde. Va-t-il devoir condamner un innocent qui se déclare coupable, et par là innocenter un coupable, comme le réclame le ministère public qui est bien forcé de le faire tout en pensant le contraire ? C’est l’enjeu d’un procès qui au départ n’avait aucun intérêt.
Le 13 février 2022, vers 22h30, des policiers en faction sur la bretelle d’autoroute menant au zoning de Chaineux, remarquent un véhicule roulant beaucoup trop vite sur cette portion limitée à 100 km/heure. Ils se lancent à sa poursuite, en mesurant une vitesse allant jusqu’à 158 km/heure. Le fuyard adopte une conduite très dangereuse, forçant même une voiture à se ranger précipitamment sur la voie d’urgence. Tellement dangereuse d’ailleurs, que les policiers abandonnent la poursuite. Car cette voiture, ils la connaissent très bien. Elle est immatriculée au nom d’un certain Benjamin (34 ans) qui cumule les condamnations pour roulage, et qui est à ce moment d’ailleurs sous le coup d’une déchéance du droit de conduire. Et qui n’est pas en ordre de contrôle technique.
Dans l’enquête qui s’ensuit, Benjamin déclare que ce n’était pas lui qui conduisait, qu’il avait prêté le temps de sa déchéance sa voiture à un ami prénommé Florent (30 ans). Lequel avouera sans rechigner qu’il était bien le conducteur.
Une version bidon
Voilà les deux hommes poursuivis devant le tribunal correctionnel, Florent pour entrave méchante à la circulation, conduite dangereuse et refus d’obtempérer, et Benjamin, le propriétaire de la voiture, simplement pour défaut de contrôle technique. Ils servent tous les deux ces mêmes versions devant le tribunal.
Une version à laquelle Mme Troisfontaines, ministère public ne croit pas un mot. Elle pense au contraire que les deux amis se sont mis d’accord sur ce scénario bidon, Florent n’ayant aucun passé judiciaire tandis que Benjamin risquait lourd vu son casier judiciaire. Elle en veut pour signe que Florent est imprécis sur les lieux des faits, confondant le zoning des Plenesses avec celui de Chaineux où il était censé se rendre, expliquant sa vitesse par le simple fait qu’il était pressé, et autres imprécisions. Elle a l’intime conviction que c’était bien Benjamin qui était au volant, et qu’il a fui car étant sous déchéance du droit de conduire. Mais voilà, elle ne peut le prouver, et le dossier étant ce qu’il est, elle ne peut que réclamer la condamnation de Florent à 4 mois de prison et à un mois de déchéance du droit de conduire, et de Benjamin à une amende.
« Ca, c’est du jamais vu dans ma carrière d’avocat » s’indigne Me Uerlings, l’avocat de Florent. « Que le ministère public réclame la condamnation d’un homme qu’il pense innocent, c’est le monde à l’envers ! » Et de réclamer l’acquittement de son client, qui n’est pas poursuivi pour fausses déclarations.
Voilà donc le tribunal plongé dans un fameux dilemme pour un jugement qu’il rendra dans un mois.
LUC BRUNCLAIR