"La chambre confinée " (2) : Gaëtan PLEIN

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Etre enfermé par surprise, même partiellement, même si cela est bien compris et tout à fait justifié, c’est entamer un voyage imprévu et un retour sur soi-même. Dans son propre lieu clos, chacun est maître du jeu. Aujourd’hui, nous partons à la découverte de celui de Gaëtan Plein, conteur, animateur, chroniqueur, caricaturiste et guide. Il a d’ailleurs choisi, comme photo de son confinement, un croquis réalisé par lui-même et représentant Guillaume Apollinaire à Spa. Comme en écho à ces jours que nous traversons... Apollinaire, emporté par la pandémie de la grippe espagnole il y a un peu plus d’un siècle...

-Gaëtan Plein, vous voici, comme nous tous, dans votre chambre confinée : pouvez-vous décrire la vôtre ?

Je loue une vieille fermette, un peu en ruine, près de Moulin du Ruy. Chaque tuile qui tombe, poussée par le vent, a une histoire à raconter. Il y fait froid en hiver, et chaud en été. J’ai l’avantage d’être informé de la météo, car le toit perce. Ceci dit j’ai passé huit jours à Vienne en février. Je ne donnerais pas cette fermette contre Schonbrunn, le célèbre palais des empereurs d’Autriche-Hongrie. Je retiens d’ailleurs que de nombreux empereurs et impératrices ont eu une vie misérable. Quant à la vallée du Roannay, c’est aussi beau que le Tyrol… Et mon chat noir, quand il chasse, compare la forêt du côté de La Gleize, et les Fagnes de Malchamps, au Kamchatka. En plus majestueux. Rappelez-vous qu’Alphonse Daudet, qui a connu la magnificence impériale de Paris, n’a jamais été aussi heureux que dans son vieux moulin, un ermitage provençal.

-Chacun a une approche personnelle de l’enfermement. Celui-ci est partiel et expliqué, justifié : vous le vivez comment ?

J’aime la solitude, alternée à une vie riche de contacts humains. J’aimais autrefois les retraites en abbaye : en Irlande par exemple, ou en Pologne dans les années 80. On pouvait, il y a trente ans, faire des randonnées dans des régions fabuleuses. Mais les moines ont disparu et ces régions s’urbanisent à grande vitesse. J’aime la philosophie du moine bouddhiste Tich Nhat Hanh. J’apprécie les lieux de silence, que ce soit en solitaire ou avec une amie. La terre est surpeuplée, le luxe c’est le retour au désert et dans les derniers ermitages… J’aimais autrefois les écrivains qui prônaient la solitude : Saint Exupéry par exemple. Me revient aussi à l’esprit le récit d’un auteur russe du XIXème siècle («Dersou Ouzala», de Vladimir Arseniev) ou même les récits d’alpinistes comme Frison-Roche. En ce temps-là, les Alpes étaient encore sauvages. Ceci dit, la solitude est rare. Même les voyageurs du Pôle en solitaire communiquent quotidiennement, comme s’ils buvaient une Bobeline sur une terrasse à Spa. Paradoxalement, j’exerce une profession qui me fait rencontrer énormément de monde… et j’aime aussi cela. «In medio virtus» comme on dit en latin… Je n’ai pas fait d’étude, j’ai suivi l’école buissonnière. Ce sont les voyages qui m’ont éduqué. Mon diplôme, c’est donc mon expérience, mon sixième sens, la connaissance des langues et la bonne fortune…

-On vient de le voir, je sais que vous êtes un grand lecteur : quel écrivain pour vous est le plus proche de la période que nous traversons ? Et quel roman ?

On vous citerait sûrement «La peste». J’ai en tête un autre roman, à mon avis, qui a dû un peu influencer l’auteur, Albert Camus. C’est «La mousson» d’Arthur Bromfield, écrit dans les années 30, peu avant la guerre.L’histoire se passe en Inde, dans l’ancien empire britannique, au temps des Maharajas. Dans une province désolée se construit un barrage, il doit améliorer la vie misérable d’une population superstitieuse. Une petite communauté occidentale occupe les postes clés, ce sont donc les coloniaux «éduqués» avec tous leurs préjugés. La mousson arrive trop tôt et le barrage encore incomplet lâche… dans le désastre humanitaire, les caractères se révèlent, du meilleur au pire. Un peu comme à Oran dans le scénario de "La peste", écrit 20 ans plus tard…

-L’épidémie fait partie des grandes peurs de l’humanité ; et vous, quelles sont vos peurs ?

En ce qui me concerne : perdre mon chat serait un grand malheur.

Pour l’humanité, nous assistons depuis deux générations à un désastre effroyable de plastification des océans et de «dénaturisation». Mais peu de gens voudraient changer leur mode de vie, les efforts sont dérisoires face à l’ampleur du désastre. Je pense qu’une personne sur cinq est capable d’une réelle prise de conscience… c’est beaucoup trop peu et cela arrive beaucoup trop tard.

Prenez le simple exemple des mégots de cigarettes jetés partout. Si on ne peut déjà pas faire un si petit effort de civisme, il ne faut pas espérer de grands changements.

Mais je n’ai pas de leçon à donner, j’ai 62 ans. Je fais partie d’une génération privilégiée, qui grandissait avec le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière. Les enfants qui grandissent maintenant paieront l’addition de notre égoïsme.

-Quand on est en vase clos, on repense au passé... avez-vous des souvenirs qui vous reviennent que vous voudriez partager ?

J’écris des histoires, que je raconte en voyage. J’ai eu la chance de réaliser des animations dans des pays exotiques.  Je vais précisément vous raconter une anecdote .

Je travaillais comme bénévole dans un orphelinat à Madagascar. Lors d’un cours de dessin, je fais venir sur l’estrade des enfants à tour de rôle. Quel est ton rêve ? C’était le sujet. L’un d’eux dessine des chaussures, «comme Rosario».  Rosario, c’était son voisin. Sur 30 enfants, 6 n’avaient pas de chaussures…. J’aime raconter des histoires, tant à des enfants qu’à des adultes. J’aime faire découvrir les petits îlots de beauté et des moments de poésie dans la vie de tous les jours… J’ai travaillé ainsi,  en voyage annuel,  dans des milieux non francophones. Le dessin est alors un langage universel…

Je fréquente les milieux associatifs. J’écris aussi des nouvelles et récits historiques dans un petit magazine régional «Réalité», (mes photos de voyages  sont visibles sur mon site internet  www.animationtoristique.com).

-Vous êtes confiné donc avec votre chat, de quoi parlez vous ?

La dernière histoire de mon chat ? il a sauvé en forêt la fille du roi des Nutons, tombée dans une mare près de la Vecquée. Il l’a gardée dans ses pattes au chaud en soufflant lentement pour la réchauffer, et la réconforter. Il la léchait tendrement.

Hélas, finalement, il l’a dévorée. Un chat peut être généreux par moment, mais il reste un chat…

On peut aimer chez les humains leurs qualités et chez les chats, leurs défauts : mon chat est paresseux, narcissique, égoïste, voire médisant.

-C’est quoi la souffrance pour vous ?

La souffrance, c’est ne pas aimer, ou ne pas être aimé.

Le pire, ce sont les deux en même temps.

-Qu’est-ce qui vous manque le plus en cette période ?

Une petite amie «à mi-temps». Mais cela viendra en son temps. Geneviève, mon ancienne petite amie était une idéaliste. Elle a travaillé pour médecin du monde au Laos. Elle travaille comme infirmière en pédiatrie. Mais elle a aussi passé du temps, comme moi, grâce à son métier et ses réseaux, dans des pays fabuleux : Yemen, Malawi, Australie…  Pour ma part, un voyage fabuleux s’est réalisé dans le sud algérien, (cinq semaines en 1980) le Hoggar, à deux pas du Mali. Avec 6 amis étudiants en médecine et 2 jeeps complétement pourries, restaurées à Liège. …

-Nous sommes à la fin du monde ou à la fin d’un monde ?  Lequel ?

Sait-on  jamais à quoi s’attendre pour demain ? Une nouvelle philosophie ? Ou les sciences qui permettent de garder de beaux endroits pour les «happy fews» ? Certains pays parviendront-ils à garder un style de vie vertueux ?

Dans l’histoire, il y a toujours eu des hauts et des bas. Des gagnants et des perdants. Si je devais citer un homme que j’admire et dont on a oublié le nom, c’est Xénophon. Tout le monde retient le nom du macédonien Alexandre le Grand : son empire sans lendemain, entre l’Euphrate et l’Indus. Mais celui que j’admire, dans cette conquête des  Grecs, c’est Xénophon. A la mort de leur empereur Alexandre, c’est le désespoir dans l’armée grecque. Un homme lucide prendra la parole, il insufflera à ses hommes un espoir. C’est un modeste officier qui va prendre en charge un groupe de soldats, désespérés, affamés dans les déserts d’un continent hostile. Cet épisode est moins connu que l’Odyssée mais il est authentique. Ce voyage durera des années. Il les ramènera à la mer, Thalassa. Thalassa, c’est le mot des grecs quand après des années de souffrances, ils savent qu’ils ont réussi. Pour ce peuple de marins, la mer n’était pas un obstacle, mais une route vers la maison… Ceux qui avaient eu l’ambition de vivre la vie de palais seront en fait les plus heureux des hommes, rien qu’à revoir leurs îles arides et leurs cabanes natales. Ils sont accueillis par celles et ceux qui les ont attendus pendant des années, avec pour toute domesticité  un chien, trois poules et cinq chèvres…

-C’est donc leur «Thalassa». Et vous, si vous deviez faire un voyage comme ceci, ce serait pour où ?

S’il s’agissait de vivre dans une grande ville avec une qualité de vie exceptionnelle, je dirais Vienne. S’il s’agit d’un voyage court (plus ou moins 18 jours pour moi) c’est l’archipel des Açores, en privilégiant les îles les plus éloignées. Ces îles n’ont pas encore été ravagées par le tourisme de masse, et à mon avis seront encore épargnées une quinzaine d’années. S’il s’agit d’un grand voyage de plusieurs mois, le Kamchatka. Mais une fois de plus, il ne faut pas tarder…

-Que voyez-vous de la fenêtre de votre chambre ?  Décrivez moi le paysage

Une fontaine et un bac, en fait une auge pour bestiaux. Mais pour moi, c’est du marbre de Carrare, l’eau est pure et le bruit nous frappe comme un concerto de Rachmaninov.

-Voltaire disait : "Il faut cultiver votre jardin". Vous en pensez quoi ?

Ah ! Candide ! J’adore ce le roman ! Je me souviens de maître Pangloss qui avait de grandes idées, mais des principes qui ne marchaient pas…Dans les grandes épreuves, on voit beaucoup de donneurs de leçons. J’ai plus confiance dans ceux font un petit peu, discrètement, et avec le cœur. Parfois, simplement mettre une main sur une épaule, sans rien dire, sans même connaitre la personne qui souffre, c’est déjà beaucoup. Candide , au cours de ses pérégrinations, a tout perdu, sauf l’espoir. Il applique les petits principes simples, au jour le jour. Candide a retrouvé Cunégonde, bien abîmée par la vie, mais toujours amoureuse. Finalement, c’est Candide qui a raison, et non le philosophe. Cela rappelle le célèbre conte du colibri qui veut éteindre l’incendie de la forêt en jetant des gouttes d’eau de son minuscule bec. Il donne ainsi aux grands pachydermes, qui le «jugent», une leçon de modestie. Il faudrait plus de colibris et moins de pachydermes.

-Le premier jour de la fin du confinement, vous ferez quoi ?

Je travaillerai dur pour regagner le temps et l’argent perdu. Pour cela je suis très matérialiste. Pour réaliser des rêves, il faut aussi une bonne part de pragmatisme, c’est le paradoxe.

 

Propos suscités par Urbain Ortmans et diffusés le 21 mars 2020

A revoir : https://www.vedia.be/www/video/culture/-l-album-gay-tan-plein-caricaturiste-et-conteur-diffuse-le-07-05-12-_71818_138.html

 

 

 

 

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