Pour ce Mobil’Idées de rentrée, parlons voitures de haut de gamme chez les constructeurs français. Au cours de la première moitié du 20ème siècle, il a principalement été question de Delage, Hispano et Delahaye. Ce qui a pour effet de contrarier un certain Jean Daninos, fondateur de la société Facel, pour Forges et Ateliers de Constructions d’Eure-et-Loire. Fort de son expérience au service de Citroën, Ford et Panhard, Daninos se met en tête de créer une voiture de très haut de gamme, à quatre places, à l’esthétique soignée, et aux performances clairement affichées. Le projet Facel Vega était né…
Et si la Facel s’appellera Vega, c’est à Pierre Daninos, célèbre écrivain, frère de Jean, qu’on le doit. Vega, l’une des étoiles les plus brillantes de la constellation de la Lyre. Le ton était donné.
En tant que spécialiste de l’acier inoxydable et de l’alliage léger dans l’aéronautique puis l’automobile, Daninos, qui s’était réfugié aux Etats-Unis durant la Seconde Guerre Mondiale, décide de concrétiser son rêve : construire une voiture de sport et de prestige. C’est en 1954 qu’apparait la première version de la Facel Vega. Dont la ligne, ambitieuse, fait l’unanimité. Le principal problème auquel Jean Daninos s’est heurté, c’est la mécanique. Aucun moteur français ne lui semblait lors assez noble et puissant. C’est donc chez l’américain Chrysler que Facel s’est tourné, installant dans les entrailles de la Vega un énorme V8 badgé De Soto, de 4,5 litres de cylindrée, affichant une puissance de 180 chevaux. Ce premier modèle, présenté dans l’usine de Colombes, était baptisé FV, relevant de la marque Vega. Au total, 8 exemplaires ont construits, en plus de deux prototypes. Trois exemplaires subsistent aujourd’hui, et croyez-le ou non, la Vega que vous avez sous les yeux est bel et bien un de ces trois exemplaires de la FV ! Il convient de parler de modèle originel, de quoi en booster tant et plus la valeur historique, mais pas seulement…
A la Vega FV succéderont les dérivés FV2, FV3 et FV4, avec la HK500 en guise d’ultime évolution, en 1958.Parmi les particularités esthétiques de la Vega des débuts, on relève un pavillon arrondi, un pare-brise à simple galbe, une calandre verticale reconnaissable au premier coup d’oeil, ainsi que des feux arrière encastrés au sommet des ailes. Autant de choix qui ont fait entrer cette voiture racée dans l’histoire. Une Facel Vega ne ressemble à aucune autre voiture de l’époque, et ça, c’est déjà un gage de réussite.
Le dada de Daninos, c’était la symétrie. Ce qui se traduit par quelques détails parfois étonnants. A commencer par l’habitacle de la Vega, qui propose un tableau de bord où tout est équitablement réparti à gauche et à droite de la direction. Cet habitacle ne manque d’ailleurs pas de donner le ton du projet Facel Vega. Ici, on est clairement dans le haut de gamme…
A l’arrière, on remarque deux sorties d’échappement, toujours pour une question de symétrie.
Mais le plus étonnant est sans doute la présence de deux antennes radio sur les ailes arrière de l’auto. Histoire que la ligne soit définitivement équilibrée… Ce qui signifie tout simplement qu’une des deux antennes était… fausse ! Esthétique, quand tu nous tiens…
Si la Facel Vega s’est rapidement imposée comme une certaine idée de l’excellence automobile à la française, son caractère exclusif lui a surtout valu un succès en dehors des frontières hexagonales. Très vite, la société Facel a dû composer avec des problèmes de trésorerie. Oui, la Vega imposait le respect, mais sa clientèle, huppée, était clairement trop limitée…
Daninos décidait alors de rendre sa Vega plus abordable. Ainsi naissait en 1959 la Facellia, sorte de HK500 en réduction, plus abordable à tous les niveaux, surtout financier, mais toujours aussi belle. Sous le capot, exit le 8 cylindres du Pays de l’Oncle Sam, remplacé par un quatre cylindres Pont à Mousson. Paradoxalement, c’est cette volonté d’élargir la clientèle qui va précipiter la perte de l’aventure Facel Vega. La mécanique retenue était en effet trop fragile, et l’image de la Vega s’est écroulée. Une Facel III, mue par la mécanique de la robuste Volvo P1800, arrivait en 1963, mais trop tard. Les comptes étaient au plus mal, après le financement du remplacement des moteurs Pont à Mousson cassant les uns après les autres. En 1962, Facel était placée en liquidation judiciaire. Aucune solution viable n’allait être trouvée, et au Salon de Paris 1964, les Facel Vega faisaient une ultime apparition, sans que la clientèle ne puisse plus passer la moindre commande. Quelques mois plus tard, la marque rejoignait la liste de plus en plus longue des constructeurs français disparus…
Reste que sur la route, 67 ans après son apparition, cette Facel Vega n’a rien perdu de son prestige, de son aura. Plus que jamais fidèle à la volonté de son géniteur : produire une voiture de sport confortable, maniable, autant en ville que sur route à grande allure, qui représente probablement l’ensemble de grand sport et de grand tourisme le plus complet jamais réalisé. Avec cette voiture, le terme ‘excellence’ était d’actualité. Il l’est toujours…
Ultime anecdote au sujet de cette Vega FV de 1955 : la voiture a été offerte à son premier propriétaire, Jean Companéez, par le célèbre chef d’orchestre Ray Ventura. Elle est désormais entre les mains de son septième propriétaire, qui n’est assurément pas près de s’en séparer… (Vincent Franssen)