Comme souvent dans cette rubrique au doux parfum de nostalgie, la marque qui nous occupe aujourd’hui est avant tout l’histoire d’un homme, le Liégeois Jacques D’Heur. Dont la chance est d’avoir vécu à une époque où les rêves étaient encore à portée de main. En ces temps où régnait une certaine insouciance, l’amoureux d’automobiles un peu débrouillard pouvait en effet se prendre pour un constructeur. Ce que D’Heur a fait, créant la société Méan Motor Engineering et pouvant se targuer d’avoir fabriqué plusieurs centaines d’exemplaires de ses Aquila et Sonora, en plus de petits protos de compétition.
C’est sur les hauteurs de Liège, à Cointe, que Jacques D’Heur, croyant en sa bonne étoile, a créé ses premiers châssis tubulaires, qu’il allait coiffer de carrosseries en polyester. On est au cœur des années ’60, et très vite, D’Heur est contraint de voir plus grand. Il se retrouve dans la propriété familiale située à Méan, près d’Havelange, dans le Condroz namurois. Patelin qui donnera son nom à la marque. C’est semble-t-il une erreur administrative d’un transporteur qui a abouti à l’appellation Méan, alors qu’à la base, notre génial constructeur voulait appeler sa société Aquila. Soit.
Quoi qu’il en soit, son premier vrai modèle, c’est la Sonora, apparue en 1966. Dont le principe est assez simple : un châssis tubulaire en trois parties avec carrosserie en polyester et moteur installé en position centrale arrière. Côté look, c’est original à défaut d’être réellement esthétique, et ce n’est pas sans rappeler différentes choses. Il faut dire que son géniteur puisait allègrement dans les catalogues d’accessoires des constructeurs au moment de concevoir ses bébés sur roues. Phares, pare-brise, charnière de portes, tout existait ailleurs. Quant au sigle Méan présent sur les faces avant et arrière, il n’existait tout simplement pas ! Comme souvent avec les productions artisanales, les propriétaires ont eu tendance à customiser leur bien, ce qui ne facilite pas toujours les choses…
En fait d’automobiles, Méan Motor Engineering a construit ce qu’on appelle des kit-cars. Traduction : Jacques D’Heur fournissait à ses clients des kits à monter soi-même. Un concept dont les Anglais étaient friands. Il était bien sûr aussi possible d’acquérir sa Sonora totalement montée. Mais à un prix plus élevé.
Sous le capot arrière de la Sonora, on a notamment trouvé des blocs d’origine Ford, qu’il s’agisse du petit 1000cc de l’Anglia ou du 1500 de la Cortina. Plus tard, un V6 2 litres, issu de la Taunus, sera utilisé, passant la barre de la centaine de chevaux. En fait, Méan puisait allègrement sur le marché de quoi faire avancer ses Sonora, et certaines ont été propulsées par des mécaniques Renault, NSU, Volkswagen et même Porsche !
Dans la courte histoire de Méan, la Sonora reste le modèle emblématique. Proposée en version cabriolet ou Targa, elle affichait des performances plutôt étonnantes pour une voiture qu’il convient de qualifier d’artisanale. A tel point que des Sonora ont évolué en compétition, que ce soit sur circuit ou sur les spéciales de rallye ! Et à la manière des grands constructeurs, la course a permis à Jacques D’Heur de sans cesse améliorer la qualité de ses châssis.
Comme on peut s’en rendre compte, un demi-siècle après son apparition, cette Sonora ayant fait l’objet d’une restauration soignée tient sa place sur nos routes de campagne. Son unique point faible, c’est en fait une garde au sol incroyablement réduite, qui ne fait pas bon ménage avec la multiplication parfois insensée des casse-vitesses sur nos routes. Pas de doute, la Sonora vient d’un temps où nul ne pensait à ralentir artificiellement les automobiles…
Comme bon nombre de passionnés ayant un jour rêvé de construire leurs propres voitures, Jacques D’Heur était un entrepreneur doublé d’un aventurier. Mais guère un homme d’affaires. Très vite, la trésorerie de la société a fait grise mine. En 1971, Méan Motor Engineering est devenue Liberta Engineering. Il était alors question de Buggies, en collaboration avec un autre visionnaire liégeois, Edmond Pery et sa marque APAL.
Deux ans plus tard, c’était le retour à Liège. Là où tout avait commencé. Et où l’histoire allait se terminer. La famille D’Heur avait plusieurs fois renfloué les comptes, la propriété située à Méan avait été vendue pour éponger les dettes, et la marque s’en allait gonfler la liste des constructeurs belges officiellement disparus. Mais pas pour tout le monde, heureusement. (Vincent Franssen)