Elle est artiste-peintre de formation. Elle n’a d’ailleurs jamais cessé de peindre sur tous supports, papier, toile, porcelaine et même sur les plafonds de sa maison. Puis la passion du théâtre lui a fait suivre des cours de déclamation et de théâtre au Conservatoire de Verviers. Son parcours professionnel s’est déployé au rythme de ces différentes passions : professeur de peinture, organisatrice d’exposition et de parcours d’artistes, administratrice d’une compagnie de théâtre de rue, programmatrice artistique de festival de théâtre. Viendront compléter ce tableau, une formation musicale en chant baroque et enfin une autre en gestion culturelle de projets européens. Tout ceci l’a amenée naturellement à postuler, il y a 4 ans, au poste de Directrice du Centre Culturel de Welkenraedt.
-Benjamine Huyghe, vous êtes confinée chez vous, avec votre bureau installé dans votre cuisine, avec vue sur le jardin : décrivez-nous les lieux ?
J’ai une très grande cuisine qui donne sur un énorme jardin. Quelle chance. Je ne peux imaginer vivre dans un appartement sans jardin ou sans terrasse. Comme j’ai de la place et que la cuisine est une des plus belles pièces de la maison, j’y ai installé mon bureau sur une partie du plan de travail. Dès que je lève la tête, j’ai vue sur un jardin verdoyant avec les oiseaux, les fleurs, mes chats. Il y a pire comme environnement.
-Pour vous, être confinée, c’est une première expérience ?
Complètement mais je ne le vis pas trop mal. Je suis du style solitaire, méditative et rêveuse… mais pour vivre ces 3 aspects harmonieusement, j’ai quand même besoin de rencontres, de partages, de fêtes… et là, comme tout le monde, ça commence à me manquer. Heureusement, je communique régulièrement avec ma fille qui n’habite plus chez moi, avec la famille, les amis. Personnellement, le confinement a un côté très positif… mon fils prépare un examen d’entrée dans une école de musique. Normalement, il devrait le faire avec ses professeurs d’académie mais vu la situation, il le fait seul à la maison. Tous les jours, j’ai un accompagnement musical de clarinette et de piano.
-Comment organisez-vous vos journées ?
J’essaye de garder un rythme normal c’est important. J’allume souvent mon PC vers 8h quand coule mon café. Je jette un premier coup d’œil sur les mails reçus puis je déjeune et me prépare à ma journée de travail, comme tous les jours.
J’arrête vers midi pour manger avec mon fils, faire un tour dans le jardin qui s’éternise parfois un peu (ce moment me permet souvent d’y voir plus clair dans les dossiers à traiter) et puis je reprends jusque 17h ou 18h, tout dépend du travail en cours. Puis je prépare le repas du soir et puis dernier rendez-vous à 20h avec les voisins… nous applaudissons !
-Si je vous dis "cabine téléphonique anglaise", vous me répondez quoi ?
(Rires)… C’est une bibliothèque libre et ouverte à tous qui a été aménagée dans une cabine téléphonique anglaise installée à l’entrée de mon jardin à Thimister… Intitulée «Biblicabine» elle déborde de toutes sortes de livres, jeunesse, roman, voyage, en français, en langue étrangère, des livres collectors aussi. Pour le moment, les livres vont et viennent. J’ai l’impression que pas mal de personnes se remettent à lire.
-Que lisez-vous actuellement ?
Je lis toujours beaucoup. En tout cas, j’essaye mais ce n’est pas toujours évident avec les réunions, les visionnements de spectacles, les activités au Centre Culturel. Il est vrai que pour le moment, je dévore puisque je suis particulièrement disponible en soirée... J’ai fini, il y a peu un livre de Jeroen Olyslaegers «Trouble» qui traite de la frontière entre le bien et le mal en temps de guerre, de la délation…
J’ai enchaîné avec 2 livres de Laurent Gaudé que j’adore («La porte des Enfers» et «Eldorado»), tout cela entrecoupé de quelques pensées de Pascale Seys dans «Si tu vois tout en gris déplace l’éléphant». Je le recommande. En ce moment, c’est vraiment un livre essentiel qui permet de relativiser, de voir «large, loin, haut», de s’aérer l’esprit. Et comme nous parlions de la Biblicabine, j’y ai trouvé un livre de Jonathan Coe que je vais commencer dès ce soir. J’ai besoin de changer de registre !
-Ah, nous parlions de votre cuisine, j’aime toujours découvrir les recettes des autres.... une suggestion ?
J’adore cuisiner, plutôt du salé. Alors, voyons, je suis une spécialiste du gratin dauphinois, toujours réclamé par mes enfants à tous moments. J’adore aussi faire des quiches, tout ce qui est cuisson basse température m’intéresse, je raffole des pâtes et j’ai plusieurs livres de cuisine sur le sujet… Je me mets souvent au défi de faire un super repas en cuisinant des restes. A côté de ça, je peux rester dans ma cuisine des heures pour préparer un bouillon qui servira de base à une sauce… avoir travailler dans un restaurant étoilé en étant jeune m’a donné le goût de la bonne cuisine et l’envie de tester de nouveaux plats. Ce soir, ce sera potage maison, magret de canard, restes de pommes de terre d’hier que je vais rissoler, pommes cuites, carottes…
-Professionnellement, la situation est difficile : pouvez-vous déjà mesurer aujourd’hui l’impact financier pour le Centre Culturel de Welkenraedt ?
Nous avons annulé beaucoup de spectacles dont un qui était complet, mais aussi des ateliers, complets également, des conférences, des expositions, des représentations scolaires... Qui dit annulation, dit remboursement des places aux spectateurs. La réalité du Centre Culturel de Welkenraedt est celle-là… avec une salle de 585 places, il y aura une perte financière, difficilement mesurable actuellement. Quand la crise sera passée, il sera plus facile de faire le point sur la situation. Alors, je suis d’un naturel optimiste et je veux toujours aller de l’avant. Avec l’équipe, nous travaillons sur de chouettes projets pour la saison 2020-2021 et sur des nouveautés pour que le public revienne très vite au Centre Culturel.
-On parle d’une première enveloppe de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour le secteur culturel : allez-vous pouvoir bénéficier d’aides publiques ?
Nous l’espérons vraiment. Une aide sera indispensable pour pouvoir organiser des événements qui serviront à tisser du lien et permettra à la population de… renaître. Au sortir de la crise, il y aura une fragilité. En tant que Centre Culturel, nous devrons être là pour pouvoir remplir complètement nos missions de reliance, d’accompagnements, de lien entre les publics… sans financement supplémentaire ce sera impossible. Soyons clairs, je ne parle pas de combler un déficit mais bien de nous soutenir pour développer des projets, engager des artistes et des compagnies…
-Comment faire fonctionner un centre culturel en pareille période ?
Les technologies nous permettent de mettre le personnel en télétravail. Les régisseurs font de la maintenance, analysent les fiches techniques de la saison prochaine (avec une distanciation), il y a une permanence téléphonique gérée par le responsable billetterie de chez lui.
Du travail, il y en a… Nous travaillons, à distance, sur le rapport d’activités et l’évaluation de 2019, la préparation de la saison suivante, les projets, dont certains sont d’envergure et puis nous restons très actifs sur les réseaux sociaux... Dès la mi-mars, sur les réseaux sociaux, nous avons relayé différentes informations propres à la vie de Welkenraedt, aux associations... et puis chaque lundi et jeudi, nous publions sur FB un quiz culture du lockdown.
-Qu’est-ce qui vous manque le plus, comme ceci ?
Un repas de famille à la maison, les spectacles, un bon verre de vin partagé avec des amis, les soirées d’événement au Centre Culturel.
-Vous gardez contact avec les artistes ?
Dès le début du confinement, des échanges se sont fait avec les artistes. Il fallait décider des annulations ou non, envisager les reports ou non… et puis, et probablement surtout, écouter. Leur situation est dramatique, rien de comparable avec la situation des CC. Et cela dans n’importe quel domaine.
-Et votre équipe, comment vit-elle la situation ?
Personne n’est malade pour le moment, je n’arrête pas de leur répéter que c’est l’essentiel. Travailler comme nous le faisons pour le moment est compliqué. Tout est plus lent. Rien de telle qu’une vraie réunion d’équipe dans le même local. Quand on travaille dans le même bâtiment, les informations, les demandes sont plus vite traitées. Je crois que nous avons tous hâte de pouvoir revenir travailler dans «nos murs».
-Le premier jour de la fin du confinement, ce sera...
Allez visiter le nouvel appartement de ma fille et de son chéri, ils ont déménagé quelques jours avant le début du confinement… avec une bonne bouteille de champ’ !
Propos suscités par Urbain Ortmans et diffusés le 9 avril 2020.